De manière récurrente, lorsque mes patients apprennent qu'en dehors du cabinet, je suis psychologue en soins palliatifs, je reçois énormément d'interrogations à propos de ce métier et ce quotidien. Dans ma sphère privée également, ce métier suscite souvent de vives réactions. Afin de permettre une compréhension de ce métier que j'affectionne tout particulièrement, je tenais à partager un petit bout de mon quotidien dans cet article.
Restituons une notion importante : les soins palliatifs
Les soins palliatifs, c'est « une branche spécifique de soins apportés à une personne qui se trouve à un stade avancé ou terminal d'une maladie grave, évolutive et mettant en péril le pronostic vital, et quelle que soit son espérance de vie » (Définition issue de la loi relative aux soins palliatifs du 21 juillet 2016 en Belgique). Les soins palliatifs regroupent donc les soins physiques, psychiques, sociaux, moraux, existentiels et spirituels dispensés à un malade mais également ses proches, afin de favoriser au mieux l'autonomie et garantir la meilleure qualité de vie possible pour le temps restant. Cela veut donc dire que les soins palliatifs ne sont pas toujours des synonymes de mort rapide. Des patients peuvent rester en soins palliatifs durant des jours, des semaines, des mois et parfois même des années.
L'intérêt d'un psychologue en soins palliatifs ?
En tant que psychologue, je ne me suis jamais cachée d'un grand intérêt pour l'oncologie. Heureusement, à l'heure actuelle, les traitements curatifs permettent aux patients d'être soignés, et d'entrer en phase de rémission ou de guérison. Mais malheureusement, certains types de cancers restent compliqués à traiter, et quand le curatif ne peut plus aider, ou dans une moindre mesure, la préservation de la qualité de vie est essentielle pour le temps restant. Dans cet ordre d'idée, il n'y a pas que des patients atteints de cancers qui sont suivis en soins palliatifs, les maladies dégénératives par exemple peuvent également conduire à une trajectoire palliative. La trajectoire palliative permettant tout de même de recourir à des médications et à certains types de traitements.
Dans notre société, il n'est pas rare d'avoir des difficultés à accepter que la médecine n'est pas toute puissante, et que dans certains cas, des maladies peuvent évoluer et conduire à une mortalité. Dans ce cas, la médecine palliative permet de trouver un juste équilibre, qui est propre à chaque patient, et qui permettra de vivre de manière la plus apaisée possible jusqu'à la mort. Mon rôle en tant que psychologue étant de rencontrer ces patients, mais également leurs proches, et de permettre de créer un cadre soutenant au niveau psychique, existentiel et spirituel. En allant à la rencontre de ces familles et de ces patients, je reste en lien avec les équipes soignantes, et je permets la co-création d'un "cocon" afin de redonner une place significative au patient, au-delà de la maladie. En pensant au patient au-delà de l'étiquette liée à sa pathologie, on peut prendre en considération les sphères de vie qui le constituent jusqu'au bout de son parcours, et permettre par exemple de parler de sexualité, ce qui représente l'une de mes batailles. Un autre cheval de bataille important dans ma pratique étant d'oser parler de la mort, et la rendre intelligible pour les enfants, aussi petits soient-ils, lorsqu'ils perdent un grand-parent, un parent on un proche tout simplement.
La particularité du travail à domicile
Dans mon expérience professionnelle, je côtoie les domiciles des patients, qu'il s'agisse de leurs logements personnels mais également des résidences dans lesquelles ils peuvent vivre. De manière pratique, j'entre en contact, de manière plus aisée qu'en structure hospitalière, avec la vie que le patient pouvait avoir avant la maladie car forcément, en entrant chez quelqu'un, on y retrouve des traces de son histoire de vie. Cela peut conduire, encore plus aisément, à envisager le patient comme une personne avant tout, et pas comme un malade ou une personne uniquement en état de souffrance. Les rencontres que j'effectue à domicile peuvent se faire avec le patient, mais également parfois avec ses proches, ou uniquement avec ces derniers. La rencontre psychologique n'étant obligatoire en aucun cas, mais permettant simplement de déposer ses ressentis, besoins et attentes avec quelqu'un de spécifique, qui n'est pas un soignant habituel.
Dans ce cadre, je suis toujours en lien avec les infirmiers avec lesquels je collabore. Il faut savoir qu'en soins palliatifs à domicile, il existe une structure bien particulière : des soignants de première ligne et des soignants de seconde ligne. Les soignants de première ligne représentant les personnes qui sont rencontrées de manière récurrente par les patients, à savoir le médecin traitant, les aides familiales et les infirmiers qui font les soins journaliers. Les soignants de seconde ligne représentant le médecin référent de l'institution palliative, les infirmiers palliatifs qui viennent ponctuellement et collaborent avec les infirmiers de première ligne, l'assistant(e) social(e), les bénévoles et le/la psychologue spécialisée en soins palliatifs. Notre rôle de seconde ligne étant également, au-delà des rencontres avec les patients et leurs proches, d'inculquer la philosophie palliative et de permettre d'en parler au plus grand nombre, afin que les soins palliatifs permettent, comme ils le proposent par définition, d'accompagner des personnes ayant une maladie grave et incurable, avant que la situation médicale ne conduise à un décès à brève échéance. Cela permettant de conscientiser encore plus grandement que les soins palliatifs ne riment pas avec mort rapide.
Travailler avec la mort ?
Souvent, on me demande si ce n'est pas compliqué de travailler « avec la mort ». Cette question occulte la majeure partie de mon quotidien, c'est-à-dire, travailler avec des vivants, des individus qui face à des pronostics létaux, font le choix d'orienter le temps restant comme bon leur semble. Pour certains patients, l'irréalité d'une fin de vie approchant les conduit à vouloir vivre encore plus fortement, même si certaines conditions physiques et médicales forment des bémols à l'épanouissement. Pour d'autres, le choix de la manière de vivre ses derniers instants est primordial et peut conduire à préparer ses obsèques et son départ, ce que j'apprécie accompagner en faisant le lien entre le patient et ses proches afin de permettre un dialogue le plus libéré possible jusqu'aux derniers instants. Pour d'autres encore, le principe de mourir dans la dignité et avec choix conduit à choisir l'euthanasie ; j'accompagne alors ces demandes durant le parcours légal, mais également le jour J afin de permettre un accompagnement pour ceux qui le souhaitent. Ce que j'aime à rappeler étant que la vie reste présente jusqu'au moment où la mort se présente, et même après la vie reste présente dans les souvenirs possédés par les proches. Le parcours de soins palliatifs étant encore ponctué de véritables moments de vie, de larmes mais également de rires et de souvenirs à créer et à partager.
On me demande également régulièrement si le fait d'être confrontée régulièrement à la mort n'est pas source d'anxiété pour moi. Je dois bien avouer que ce n'est absolument pas le cas. Dans ma vision de la vie, je pars du principe que la mort est un passage nécessaire et obligatoire, tout comme l'est la naissance. On parle d'ailleurs de plus en plus, et je le fait également dans ma pratique, de mourance afin de considérer cela comme une étape, au même titre que la naissance, et non pas comme une finalité taboue, zone de non lieu. Je considère donc que mourir fait partie indéniablement de la réalité humaine, et qu'autant que faire se peut, j'espère permettre à mes patients de vivre ce passage obligatoire de la manière la plus douce qui soit. Bien entendu, il est parfois compliqué d'accepter que la mort soit la finalité pour des enfants, adolescents, jeunes adultes ou simplement des proches, mais personne ne peut malheureusement en changer. Mon rapport avec la mort est donc complètement apaisé, même s'il me conduit à certains moments (et heureusement !), à être touchée et impactée par le décès de certains patients, car cela me renvoie à ma propre mortalité et à celle de mes proches. Même en tant que psychologue en soins palliatifs, on aimerait parfois que la mort n'advienne pas, mais finalement, est-ce que la vie aurait la même saveur si elle pouvait s'étendre à l'infini ?
Vous présentez un intérêt pour les soins palliatifs ou souhaitez simplement en apprendre plus sur la manière dont ils sont dispensés en Belgique, de manière didactique et rapide ? Je vous invite à visionner cette vidéo :
A bientôt au cabinet, Coleen Godart
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