Ligne directrice pour créer une famille, normes sociétales et pression mise sur les épaules des femmes mais aussi des couples, le questionnement « Alors le bébé, c'est pour quand ? » conduit de plus en plus d'individus à revendiquer le droit à disposer de son corps sans subir de pression supplémentaire. Vous l'avez sans doute déjà expérimenté, soit en posant la question, soit en la recevant, la question « Alors le bébé, c'est pour quand ? » est phare lors des repas de familles, mais également parfois lors des repas entre amis et collègues. Bien entendu, cette question est posée essentiellement à des couples dits installés, qui partagent une relation depuis quelques temps, qui sont peut-être engagés l'un envers l'autre et disposent d'un logement ou d'une situation plutôt stable au niveau socio-économique.
Mais pourquoi cette question ?
Tout d'abord, derrière cette question se cache une réalité sociétale. En effet, la norme encore communément partagée dans notre société veut qu'une femme devienne mère à un moment donné de son existence. Ce moment ne doit pas advenir trop précocement, sinon la mère sera jugée d'inconsciente, ni trop tardivement, car la mère sera alors jugée d'égoïste ne pensant pas au futur de son enfant. Dans cette lignée, le couple est également impliqué. Il est rare que l'on demande à une femme seule si elle compte avoir un enfant, ou alors, on lui fera passer le message via son horloge biologique, ou via une injonction à trouver un partenaire de vie.
La réalité sociétale de la construction d'une famille, via la venue d'un enfant, est retrouvée dans diverses sociétés contemporaines. L'anthropologie de la parenté, s'étant intéressée à la manière dont on conscientise les relations d'alliance, mais également de filiation et d'affinité. Dans de nombreuses recherches anthropologiques, le mariage est une tendance générale dans diverses sociétés (à l'exception des Na de Chine), et conduit à un faire famille spécifique : un homme avec une femme relié par un lien juridique et/ou économique et/ou religieux et permettant de contenir dans cette alliance des enfants. Le mariage dont il est question ici n'étant pas spécifiquement lié à un mariage comme nous pouvons l'entendre habituellement, mais simplement lié à une reconnaissance par les tiers et la société du fait d'évoluer en tant qu'entité, ensemble. Au sein de cette alliance, la sexualité est présente et conduit, de manière directe et indirecte, à la survenue d'une descendance. La descendance étant considérée dans nos sociétés occidentales comme liée à une idéologie de sang, à un aspect génétique. Cela étant de plus en plus ouvert et élargit à une parenté dite sociale avec la possibilité de recréer des systèmes familiaux en dehors du sang. Mais cet élargissement à la parenté sociale est encore minoritaire, le fait de constituer une famille via une alliance et la survenue d'enfants biologiques étant encore communément répandu.
La parentalité est donc une question de logique sociale et de reconnaissance identitaire, notamment pour la femme. Christine Delphy, sociologue s'intéressant au féminisme et à la maternité, a exprimé en 2009 "Les femmes sont libres de faire ce qu'elles veulent, une fois qu'elles ont faire ce qu'elles doivent faire". Le désir d'enfant étant lié à une logique sociale de laquelle il est difficile de s'extraire car elle est internalisée comme norme prédominante et entretenue de manière explicite et implicite par l'entourage familial, amical, professionnel mais également par l'Etat via des politiques familiales, fiscales et assurantielles. La question du désir d'enfant étant motivée par bien d'autres sphères que celle touchant uniquement au couple et au corps féminin.
Alors, comment y faire face ?
En tant que femme ou couple, faire face à cette question conduit parfois à un malaise. Je dis bien parfois, car certains couples répondent sans détour à cette question et ne la juge pas comme trop intrusive, toute réaction à cette question étant normale car reliée au ressenti personnel et individuel. Pour ceux qui ressentent un malaise lorsque cette question est posée, il y a plusieurs possibilités : ne pas répondre en faisant passer l'idée que cette question est personnelle et ne regarde personne, répondre de manière évasive « je ne sais pas » , « quand nous en aurons l'envie »,... Une dernière possibilité étant d'être honnête et incisif via des paroles telles que « je ne veux simplement pas d'enfant», « nous n'y arrivons pas»,... Ces possibilités forment les tendances généralement exprimées lorsque cette grande question se pose. Le choix d'une possibilité ou d'une autre se basant uniquement sur le ressenti de l'individu ou du couple.
Les conséquences de cette question
Même si le questionnement vient peut-être d'une bonne intention, il peut avoir des conséquences dévastatrices. Certains couples vivent un moment de crise ou de difficultés, et n'ont peut-être pas envie de faire face à un nouveau questionnement d'avenir ; d'autres couples voudraient un enfant mais n'y arrivent pas pour diverses raisons ; d'autres couples peuvent se sentir contraints d'avoir un enfant pour faire face à la norme ; d'autres vont se questionner à propos de la solidité de leur couple si le désir d'enfant ne se présente pas ; d'autres peuvent ressentir des sentiments de honte et de culpabilité de ne pas entrer dans la norme ; d'autres peuvent faire face à une anxiété massive à force de se voir répéter que l'horloge biologique tourne ; d'autres encore font face en ce moment même à un deuil lié à une grossesse qui s'est achevée...
Cette question, est également parfois exprimée, alors même qu'un premier enfant est présent au sein de la famille. Il n'est pas rare que des femmes enceintes de leur premier enfant, se voient questionnées à propos de l'envie d'avoir un second enfant. A nouveau, une norme sociétale se cache derrière tout cela. Avoir un premier enfant est encore régulièrement vécu comme une norme, permettre à cet enfant d'avoir un petit frère ou une petite sœur avec qui partager ses vacances et son quotidien semble couler de source également. Si un second enfant n'est pas envisagé, on peut alors facilement en conclure que le couple va mal, que le couple est égoïste face à l'enfant qui restera seul, que c'est un couple « bobo » qui se préoccupe de l'écologie essentiellement,... A nouveau, de nombreux préjugés émergent car il est difficilement imaginable qu'un couple peut être heureux sans enfant ou avec un seul enfant.
Toutes ces injonctions, qu'elles soient exprimées consciemment ou non, ont donc des conséquences parfois lourdes de sens sur les trajectoires de vie des personnes qui en ont font l'expérience. Voici quelques témoignages, que j'ai pu entendre et recueillir à ce propos...
« Dès que nous allions à une réunion de famille, nous recevions la question du bébé. Je n'avais jamais vraiment eu envie d'avoir un enfant, et mon conjoint non plus. A force de devoir entendre cette question, nous nous sommes questionnés et nous sommes venus à l'idée que ce n'était pas normal de ne pas vouloir d'enfant, nous nous aimions, nous avions une maison, de bons salaires, en somme, de bonnes conditions pour accueillir un bébé. Nous avons donc décidé d'avoir un enfant. J'ai mal vécu ma grossesse, et nous avons été assailli par le doute tout au long de ce parcours. Nous n'osions pas en parler autour de nous, car nous nous sentions honteux. Honteux d'avoir pu faire l'expérience d'une grossesse aussi rapidement, et de ne pas réellement avoir souhaité tout cela. Nous étions honteux de savoir que nous avions cette chance alors que d'autres souhaitent profondément un enfant et ne peuvent pas en avoir.
Depuis que notre fille est avec nous, nous l'aimons de tout notre cœur, nous sommes tombés amoureux de cette enfant, mais nous avons encore parfois du mal à faire face à cette nouvelle vie. Heureusement, nous sommes soudés et nous pouvons parler de nos ressentis librement. Nous partageons souvent le fait que nous n'aurons jamais d'autre enfant, un seul, c'est largement suffisant pour nous. Notre vie d'avant nous manque suffisamment... Etant donné que nous sommes passés par de grands questionnements pour notre premier enfant, nous pensions en avoir fini au niveau des questions mais non... La question d'un second enfant est bien présente. Nous faisons bloc à deux car nous savons ce que nous avons vécu, et nous voulons pas revivre tout cela.»
« Depuis mon plus jeune âge, je sais que je veux un enfant. Quand j'ai rencontré mon conjoint, cette envie est devenue encore plus forte. Je savais que c'était avec lui que je voulais fonder une famille. Je ne m'en suis jamais cachée même si j'étais dans la vingtaine, car avoir un enfant, c'est réellement viscéral pour moi. Très tôt dans mon histoire de vie et de part mon parcours scolaire, du moins en comparaison à la majorité des jeunes de mon âge, j'ai pu avoir une situation stable, et je me sentais prête à accueillir un bébé. Du côté de mon compagnon, c'était plus compliqué. Il souhaitait un enfant mais ne se sentait pas prêt tout de suite. Le sujet bébé était déjà une zone compliquée au sein de notre couple, et cela contribuait à nous distancer à certains moments... Je recevais également régulièrement des pics à ce propos de la part de nos familles car soit-disant, je ne savais pas ce que c'était, j'allais regretter, je devais attendre afin de sortir en boite de nuit et faire des soirées. A de multiples reprises, j'ai évité de répondre à ces pics, ou alors, j'exprimais mon envie profonde de fonder une famille, mais rien n'y faisait. Je vivais tout cela comme des attaques aussi bien pour mon envie d'être mère, que pour mes capacités personnelles, et pour la solidité de notre couple, car mon compagnon était pris à parti et on continuait la discussion de l'importance d'avoir un enfant à un âge plus mur en l'incluant dans tout cela. C'était une période extrêmement compliquée au niveau psychique pour moi. Moi qui avait toujours ressenti un décalage immense avec les personnes de mon âge, encore une fois, on me faisait comprendre que je ne rentrais pas dans les cases. Il fallait que j'attende, que je m'amuse, que je ne sois pas spécialement dans une relation dans une relation à long terme car j'étais encore jeune.
Un jour, je me suis énervée. Au décours d'une énième discussion avec une membre de la famille, j'avais littéralement implosé. J'avais eu divers soucis gynécologiques, plus ou moins importants, mais également traumatiques, qui me conduisait à une grande crainte de ne pas pouvoir avoir d'enfant, ou du moins de manière aisée. Je ressentais une épée de Damoclès sur la question de la maternité. J'ai transmis cette information, presque en larmes, car c'en était trop pour moi. Je n'avais jamais vraiment souhaité m'étendre sur le sujet car je pense que j'étais honteuse. Honteuse de ne pas pouvoir avoir d'enfant, ou d'avoir des difficultés conceptionnelles, alors que tout semble si simple pour d'autres... Depuis, heureusement, je ne reçois plus vraiment de questions ni de pics à ce propos. Mais je reste sur mes gardes... Je sais que c'est encore un sujet qui me touche énormément, et pour lequel je suis enfin prête à rechercher du soutien et des informations. Le cheminement est long mais je sens qu'il est essentiel afin de m'apaiser et me permettre de faire face aux questionnements et à autrui.
Heureusement car depuis nos fiançailles, cette proche est revenue avec l'idée qu'elle sentait que nous aurions bientôt un enfant. Une fois de plus, j'ai eu envie d'hurler que c'était notre choix, notre vie et nos difficultés. Je ne veux pas rendre ce sujet tabou, mais je souhaite simplement qu'on nous laisse vivre notre quotidien comme bon nous semble. Je sais que je peux en parler avec certains proches, mais je les sélectionne car je ne veux plus faire face à des questionnements que je pourrais vivre comme des attaques. Heureusement, depuis lors, avec mon conjoint, nous avons pu échanger à propos du sujet de la parentalité et je suis plus apaisée aujourd'hui car nous sommes sur la même longueur d'onde. Il a pu comprendre ma souffrance, et m'épauler au mieux. Nous sommes conscients de l'impact que les questions de nos entourages respectifs ont pu avoir, et je suis heureuse de savoir que mon conjoint en a lui également pris conscience, même si tout cela n'était pas ancré en lui de la même manière que pour moi. »
« J’ai appris que je ne pouvais pas avoir d’enfant par téléphone, à l’âge de 17 ans. Je pense que je me souviendrai de cette journée pendant longtemps encore... Dès ce jour là, j’ai compris que je ne pourrais pas trouver de soutien auprès de ma famille pour cet aspect de ma vie. Ensuite, s’en est suivi des années de déni « grâce » à d’autres combats (le harcèlement scolaire, le choix d'une université, d'autres traumas,...), je n’y pensais pas trop, c’était comme si ça n’existait pas. Aujourd’hui, avec du recul, je me rends compte que pas mal de colères , de mal-être, de tristesses étaient certainement dues à tout cela.
Par la suite, j’ai rencontré mon futur mari, tout se passait bien au début, mais au bout de presque un an et demi, il m’apprend que son meilleur ami allait être papa, « par accident », au bout de 6 mois de relation. Ça a été le déclencheur pour moi, c’est à ce moment là que j’ai pris conscience que nous pourrions peut-être ne jamais être parents. Le plus dur, je dirais que c’est le fait de se sentir extrêmement seule, isolée,… même parfois par les personnes en qui nous avions le plus confiance. C’est aussi toujours ces questions de « Vais-je un jour avoir un enfant ? » , « Finalement n’est-ce pas un signe que je ne devrais peut-être jamais avoir d’enfant ? » « Qu’ai-je fais pour mériter tout ça ? », des questions aussi légitimes que violentes car en plus de ça, on m’a déjà posé la grande question « Et vous, c’est pour quand ? » alors même que les personnes qui m'entourent savent que je ne peux pas avoir d’enfant. À coté de ça, vient la colère, l’injustice, de voir les autres avoir un enfant au bout de quelques mois d’essais, voir des personnes avoir des enfants mais ne pas avoir l'envie de s’en occuper, les voir regretter d’avoir un enfant, voir des personnes se plaindre de leur enfant, ….
En résumé, c’est déjà très difficile de comprendre , d’accepter , de survivre à l’infertilité en soi mais le fait que les personnes de l’entourage ne comprennent pas notre douleur voire la minimise est à mon sens le pire sentiment que j’ai pu éprouver. »
« La question de la volonté d'avoir un enfant, on se borne souvent à l'idée que c'est une histoire de femmes. Et pourtant, pour ma part, j'en souffre beaucoup. De mon côté de la famille, on ne cesse de me demander quand nous allons enfin nous y mettre. L'horloge biologique tourne, j'ai plus de 40 ans et mon épouse plus de 35 ans, on nous le rappelle suffisamment...
Pourtant, ce que notre famille ne sait pas, c'est que nous avons déjà eu 2 bébés, 2 grossesses qui ne se sont malheureusement pas bien déroulées. Nous sommes dévastés à l'idée de retenter une nouvelle fois. La faute à pas de chance disent les médecins, mais nous, nous sommes dans une situation de deuil qui n'en finit pas. Dès que nous côtoyons des amis, dès que nous passons devant des écoles ou des crèches, nous donnerions tout pour vivre le quotidien de ces parents. La question d'avoir un enfant, enfin, ne fait que nous re-projeter dans le calvaire que nous vivons chaque jour...»
A la hauteur des témoignages recueillis ci-dessus, et de part les abords plus théoriques explicités, je souhaitais permettre de conscientiser aux difficultés et souffrances se cachant derrière la question de la parentalité et du désir d'enfant. Je remercie chaleureusement les patients et proches qui ont accepté de livrer, de manière anonyme, une partie de leurs vies dans cet article. J'espère que ces bouts d'existences conduiront à un cheminement et à une sensibilisation à la question "Alors le bébé, c'est pour quand ?".
A bientôt au cabinet, Coleen Godart
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