L'expérience de la maternité, pour celles qui souhaitent vivre cette expérience transformative, se situe entre découvertes et désillusions. Pourtant, la maternité persiste comme une sphère dont on parle avec des louanges, à quelques exceptions près. Quoi de plus beau que de porter la vie ? Même si cela nécessite de créer une omerta sur les inconforts et maux de la grossesse ? Et à contrario, pourquoi parler des débuts de la parentalité, suite à l’accouchement, comme des moments horribles, dont tout parent se passerait bien ? L’objectif de cet article est de vous proposer une vision nuancée de la maternité, entre bouleversements et apprentissages…
Le tabou du premier trimestre
Nous avons parfois l'impression que la grossesse débute à la fin du troisième mois, tellement personne ne parle du premier trimestre. En effet, il est communément admis qu'il ne faut pas annoncer la grossesse avant la fin de ce premier trimestre. Les raisons sont multiples, mais celle qui revient en tête de file, c'est la possibilité de fausse couche. Statistiquement, les femmes sont plus à risque de vivre une fausse couche durant le premier trimestre, et pour certaines femmes, le premier test de grossesse rime avec crainte que la grossesse ne perdure pas. Si cela se déroule de cette manière, la femme vit alors le deuil de cette grossesse de manière très esseulée, car l'entourage n'est généralement pas au courant, et de ce fait, peut même minimiser le deuil périnatal. J'avais déjà pu vous en parler dans un précédent article sur le deuil périnatal, mais de multiples phrases telles que « cela marchera mieux la prochaine fois », « au moins, tomber enceinte, c'est possible pour vous », « quand est-ce que vous allez vous y mettre ? » sont des phrases qui semblent anodines mais n’en sont pas. Elles camouflent toute une réalité, à la hauteur des péripéties liées à l’avancée dans la parentalité.
Les inconforts de la grossesse
Paradoxalement, on ne parle pas du premier trimestre mais il n'en reste pas moins éprouvant : grande fatigue, nausées, vomissements, douleurs ligamentaires, inconforts pelviens, impossibilité de manger certains aliments,... Continuer sa vie habituelle, qu’elle soit privée ou professionnelle peut être compliqué, et s'il faut, en plus de cela, s'occuper de la maison, d'autres enfants, rester sur tous les fronts sans rien laisser transparaitre,... tout cela peut être bouleversant pour la future maman. Additionné à tous les inconforts, les premiers rendez-vous gynécologiques et les premières échographies sont souvent vécus comme des moments anxiogènes, avant de se transformer en bulles d’oxygène. Cette première rencontre avec le monde obstétrique, les premiers battements de cœur du bébé,... rendent finalement ces inconforts ancrés dans la réalité, celle de la parentalité à venir.
Par la suite, le corps se transformant pour porter la vie, de nouveaux inconforts peuvent survenir, et de plus en plus de femmes en parlent, expriment leurs difficultés corporelles,... restant réelles même lorsque l’envie et le bonheur d’être enceinte sont présents. Cela peut conduire la future maman a se sentir en marge : comment évoquer une grossesse dont on est fière et heureuse, tout en ne déniant pas la réalité des inconforts qui y sont liés ? Dans une société faisant de plus en plus attention à la bienveillance envers autrui, et conduisant à une prise en considération de l’infertilité, il est parfois chose non aisée de partager sa grossesse, son bonheur et ses inconforts avec autrui. Pourtant, c’est finalement, un passage presque obligatoire, dans un futur rôle de parent parfois tant attendu.
La vie psychique de la maman
La grossesse ne représente pas simplement des modifications corporelles, mais également des modifications psychiques. On utilise d'ailleurs de plus en plus le terme de « grossesse psychique ». Au fur et à mesure des semaines de grossesse, l'esprit de la maman se modifie avec un développement d'émotions, de perceptions, d'anticipations,... La maman entre alors dans un état de transparence psychique, où les ressentis peuvent être exagérés ou inappropriés, comme si aucun filtre n'existait.
Certaines mamans peuvent dès le premier test de grossesse, imaginer leur futur bébé, lui laisser une place dans la famille,... Pour d'autres, ce n'est qu'à partir du moment où les premiers coups de bébé se sont ressentir qu'il est plus concret et qu'une véritable conception du bébé imaginaire soit bien ancrée. A la naissance, cela peut être compliqué pour certaines mamans de faire le distinguo entre le bébé imaginaire et le bébé réel. Cette anxiété de la rencontre, de pouvoir laisser une place pour bébé dans la famille peut être source de grande angoisse, mais heureusement, pas pour tous les nouveaux parents. Devenir parent, c'est un véritable processus qui nécessite divers éléments : se sentir en sécurité, obtenir du réconfort, être entouré par des proches et des professionnels de santé,... Évidemment, l'histoire de vie des futurs parents entre parfois en contradiction avec des sentiments apaisés, et cela peut cristalliser voir faire flamber de multiples anxiétés pour la maman en devenir, même si le papa n’est pas en reste. Cela peut également se présenter chez les femmes qui ont eu un projet de grossesse depuis des mois voire des années. Entre l'imaginaire d'être maman et la réalité de la grossesse et de son déroulé, une anxiété d'être à la hauteur peut être complexe. Des phrases types telles que celles-là peuvent apparaitre : « Je suis heureuse d'être enceinte mais je ne suis pas sûre d'être prête », « J'ai du mal à me reconnaitre », « Est-ce que je serai une bonne mère ? », « J'ai si peur qu'il arrive quelque chose à mon bébé, que je ne puisse pas subvenir à ses besoins »,...
A ce propos, un couple me confiait, il y a peu : « Nous avions toujours rêvé d’un enfant, celui qui serait le trait de liaison de notre famille. Nous avons rempli notre quotidien de tous les événements dits classiques pour un couple : appartement, fiançailles, mariage, maison, chien, voyage, et enfin, bébé. Le projet a été beaucoup moins compliqué que prévu, en quelques mois, le test de grossesse était positif ! Nous avions toujours imaginé une réaction digne des films : pleurs, cris, embrassades,… mais dans la réalité, ce fut différent. J’ai versé quelques larmes, mais j’étais surtout dans une panique. Ce projet tant imaginé nous faisait face, beaucoup plus vite que prévu. Durant toute la grossesse, nous n’arrivions pas à réaliser complètement ce bouleversement. Nous avons connu des moments d’immense joie, des mouvements de panique, et des moments d’intenses questionnements. Lorsque Tiago (nom d’emprunt) est entré dans nos vies, ce fut finalement une évidence, mais ponctuée d’interrogations. J’aurais aimé savoir que cet entre-deux existait, cela nous aurait permis de moins nous prendre la tête et de moins nous culpabiliser de ne pas être dans un bonheur constant, malgré le peu de difficultés rencontrées. »
La vie intime et sexuelle du couple
Les modifications corporelles, les inconforts physiques, l'anxiété que la grossesse se déroule mal, les nouveaux rôles à venir... sont des raisons diverses qui conduisent à rendre parfois complexe la vie intime et sexuelle du couple. Aborder le sujet de la sexualité est parfois très délicat dans des circonstances de vie quotidienne, mais avec une grossesse en cours, c'est parfois nettement plus compliqué, car même si la sexualité fait partie de la vie quotidienne, peu de professionnels de la grossesse en parlent directement, sans attendre de questions de la part des couples.
Du côté du futur papa, le désir peut être vacillant de part un psychisme qui n'est pas prêt à laisser coïncider future vie paternelle et vie sexuelle. En effet, l’image relativement cliché du papa qui a peur de toucher le bébé lors d’une relation sexuelle n’est pas le seul motif d’une baisse de vie intime, les nouvelles formes de la maman, la crainte pour le bébé,… sont autant de raisons qui compliquent les moments intimes. De plus, avec l'avancée de la grossesse, une plus grande créativité est nécessaire notamment dans le choix des positions sexuelles, l'exploration de la sexualité,... Cela convient donc à dire, que sans contre-indications médicales, une sexualité reste tout à fait possible, si le couple le souhaite et est à l'aise avec cela. En effet, en absence de contre-indications médicales, continuer à partager une vie sexuelle et intime permet le partage d’émotions positives, luttant contre le stress notamment.
Du côté de la future maman, chaque trimestre comporte son lot de retombées sur la sexualité. En guise d'ébauches de réponses, voici quelques caractéristiques. De manière générale, le premier trimestre comporte parfois une fatigue, une sensibilité accrue des zones érogènes, des maux divers et variés altérant la vie sexuelle, qu’elle soit partagée ou non. Le second trimestre permet généralement de retrouver une sexualité active et épanouie avec une augmentation de la libido et du désir sexuel ; la prise de poids et les modifications corporelles plus visibles pouvant toutefois pour certaines femmes être une entrave à une vie intime partagée. Le troisième trimestre est souvent fortement impacté par les changements corporels, et cela laisse plus régulièrement la place à la tendresse, à la complicité au sein du couple plutôt qu'à une sexualité élaborée ; toutefois, un plus grand plaisir sexuel est présent à cette période. Tout cela prouve finalement que la sexualité reste possible et envisageable pour les couples qui le souhaitent, et qui ne connaissent pas de contre-indications spécifiques. La créativité est simplement de mise afin de partager des moments intimes heureux.
L'accouchement et le post-partum
Un autre domaine qui est souvent décrié et de manière très rude lorsque l'on parle de la maternité, c'est l'accouchement. Enfanter dans la douleur, avoir besoin de péridurale, devoir être dans une maternité avec des moyens techniques très évolués, de très nombreux membres du personnel médical,... Toutes ces injonctions concernant la naissance font généralement peur aux femmes, qui savent qu'il va leur falloir une aide pour accoucher, comme si le corps féminin n'était pas fait pour cela. Des phrases telles que « le Dr X m'a accouchée » nous montrent que beaucoup de femmes se sont senties accouchées par un tiers, et pas par elle-même. En ce sens, de plus en plus de femmes, de maisons de naissance, de sages-femmes ou de doulas, questionnent la possibilité de vivre des accouchements physiologiques ou des accouchements en conscience. L'idée de tout cela étant de rendre à la femme son pouvoir d'accoucher, car à priori, avec une santé physique relativement classique, il est tout à fait possible d'accoucher sans recourir, si l'envie n'est pas présente, à une médicalisation de l'accouchement.
Après l'accouchement, c’est le moment de parler de post-partum. Les médias sociaux et écrits sont ponctués de témoignages évoquent la dépression post-partum, le burn-out parental, les difficultés diverses et variées liées à l’entrée dans la parentalité,… Je voie personnellement cela d’un œil positif, car cela permet de démystifier la santé mentale et de pouvoir exprimer que les futurs parents peuvent connaitre des difficultés, sans pour autant avoir l’impression d’être devenus fous. Cependant, c’est un tableau très noir qui est montré aux futurs parents, qui se sentent parfois pris d’une anxiété énorme car ayant l’impression de ne pas pouvoir échapper à un naufrage, comme le disait si bien l’une de mes patientes dernièrement. En effet, parler uniquement des difficultés ne permet pas de rendre compte de la parentalité dans son ensemble. Oui, des parents souffrent et endurent, et d’autres moins, mais laissons la place à ces derniers, sans les juger.
En ce sens, j’écoutais dernièrement le témoignage d’une entrepreneuse belge aux 1000 casquettes, bien connue des réseaux sociaux, Gaëlle Garcia Diaz. Dans le témoignage dressé suite à sa première année de parentalité, elle exprimait ceci : « On dit souvent « ta vie va changer, tu passes en second plan, tu ne peux plus avoir la même vie qu’avant» et ça effraie beaucoup les futurs parents. Je suis d’accord sur plusieurs points : je connais maintenant l’amour indescriptible (…), je découvre une nouvelle émotion, je découvre une nouvelle routine,… Mais si je regarde d’un autre angle, je travaille toujours autant, je voyage toujours autant même si c’est avec le petit maintenant, je peux toujours prendre du temps pour moi et voir mes copines, alors, oui, nos diners ont changé car nous avons notre enfant maintenant, mais on rigole toujours autant. On prend le temps de prendre le temps pour faire les choses. (…) Je suis désolée de le dire, mais ma vie n’a pas tant changé. Et si elle a changé, c’est pour du mieux, je suis encore plus heureuse qu’avant car tout a vraiment un but maintenant. ». Ce témoignage, extrêmement criant de vérité, renvoie à l’envers du décor de la parentalité : oui, la parentalité est un bouleversement mais pas toujours un bouleversement tel un naufrage, comme ça peut être décrit aujourd’hui. Un témoignage comme celui-ci est d’une importance capitale, car il permet de rendre compte d’une autre réalité de la parentalité, que nous devons accepter d’entendre, car comme à l’instar de la santé mentale, certains souffrent et d’autres souffrent peut-être moins, mais on ne peut pas les faire taire ou leur jeter la pierre, car la nuance fait partie de la vie.
En guise de conclusion...
Mes patients l'auront sans doute remarqué, je vis actuellement la maternité de l'intérieur. Mon envie de part cet article, était donc de parler de l'importance d'exprimer les difficultés de la maternité, pour ne pas les nier ;mais également, de rassurer les futures mères et futurs parents avec une vision nuancée de ce parcours. Cette vision nuancée serait peut-être un rempart contre des craintes et angoisses démesurées liées à la maternité, qui reste une zone d'ombre pour bon nombre de femmes et de couple.
Comme habituellement, et encore plus pour cet article, qui fera sans doute réagir, j’en appelle à votre bienveillance, pour accueillir les témoignages et expériences positives d’autres parents !
A bientôt au cabinet,
Coleen Godart
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