Les violences dans le couple sont un sujet délicat. En effet, quand la porte est fermée, nous ne savons jamais ce qui se cache dans le couple de nos amis, des membres de notre famille ou de nos collègues, et honnêtement, on préfère finalement ne pas se poser la question... Pourtant, la violence au sein du couple existe et fait partie d'une réalité qui touche un couple sur huit. Cet article tentera de vous dresser le portrait de la réalité de ces couples.
Les types de violence
Dans les violences conjugales, le premier point important est qu'il n'y a pas, ou plus, d'égalité entre les partenaires. L'un des partenaires a le pouvoir sur l'autre et le domine; la relation de violence est donc asymétrique et unilatérale et la parole ne peut pas résoudre les conflits. Le couple est donc totalitaire car un partenaire prend la mainmise sur l'autre.
Se basant sur cela, les types de violence peuvent donc être divers : les violences psychologiques, verbales, sexuelles, économiques, administratives et physiques. Généralement, le cycle de la violence débute par un moment spécifique, avec une tension, qui va conduire à une première agression. L'agression est alors justifiée par l'agresseur, et une phase de « rémission » peut advenir comme un moment d'accalmie, avant une nouvelle tension et une nouvelle agression, similaire ou non à la première.
Comment expliquer les violences au sein du couple ?
Malgré que rien ne permette de pardonner les violences conjugales, certains facteurs permettent de comprendre comment la violence peut advenir et comment elle peut alors être légitimée, dans une certaine mesure, par l'agresseur et/ou la société.
La première notion touche un concept de Françoise Héritier, la valeur différentielle des sexes. Derrière ce concept se cache un dualisme féminin-masculin qui est déjà bien présent dans la société de manière générale, et qui conduit à perpétuer une certaine hiérarchie des hommes et des femmes, chacun ayant des caractéristiques qui lui serait propre et légitimant une position sociétale supérieure ou inférieure. Dans de nombreuses sociétés, l'usage du corps des femmes est promeut par les hommes et cela structure la pensée sociétale, cela peut également se montrer dans des spots publicitaires actuels où le statut de la femme est considéré comme un objet. Malgré que le féminisme souhaite appréhender cela sous un autre angle, cette notion reste bien internalisée, chez les petits et les grands. La culture étant encore régulièrement patriarcale, il n'est pas choquant de voir les hommes être dans des phases de colère et de haine, afin de surjouer une affirmation de virilité dans les sphères publiques. Si cela est permis, pourquoi ne pas autoriser le régime de violences masculines dans les sphères privées, ou pourquoi s'y intéresser, étant donné que ce dernier ne serait pas si étonnant que cela ?
La seconde notion nous rapprochant du premier concept est le rapport de domination masculine à travers les violences de genre. L'appropriation du corps de la femme, dans la contraception et les relations conduit à faire perdurer l'image de l'homme décisionnaire et travailleur. Les violences des hommes envers les femmes sont alors plus logiques que l'inverse, car l'homme affirme sa position de domination et sa puissance, position qui lui serait due. Cette position se cristallise encore plus dans l'inconfort d'entendre que des hommes peuvent également être victimes de violence, car de manière relativement « logique » pour la pensée humaine générale, les injustices sont plus régulièrement rencontrées par les femmes dans le monde du travail, dans les insécurités sociétales, les stéréotypes,... Les hommes sont donc moins dans cette posture d'injustice, et malgré qu'une fenêtre s'ouvre avec le combat d'égalité homme-femme, il est complexe de penser que la suprématie et la domination des hommes peut être réduite, voir même être mise complètement de côté lorsque les hommes subissent eux-mêmes des violences conjugales.
Les facteurs de vulnérabilité liés aux violences conjugales
Bien que les violences conjugales peuvent naitre dans n'importe quel contexte, certains contextes conduiraient à des vulnérabilités particulières. Notamment le contexte de l'âge, ce qui est souvent décrit dans le cadre des violences faites aux enfants ou aux jeunes femmes, qui font face à une consigne de silence car « personne ne te croira », « c'est notre secret »,... Mais ce qui est moins démontré, c'est le grand âge. En effet, les personnes âgées sont également plus à risque de violences conjugales, de n'importe quelle forme, même les violences sexuelles. Etre en maison de repos avec son partenaire doit donc conduire à une attention particulière car c'est un contexte à risque. Les personnes handicapées seraient également plus à risque de violences, que ce soit en institution ou en domicile, et ces violences restent, au même titre que celles du grand âge, invisibilisées car le handicap met encore mal à l'aise et le conjoint présent dans le quotidien est souvent vu comme aidant et non potentiellement violent. Dans le cas où il serait vu comme violent, cette violence serait légitimée car « s'occuper d'une personne âgée et/ou handicapée est compliqué ».
Un autre contexte à risque, et dont on parle peu, certainement parce qu'il est compliqué de faire coïncider ces visions, c'est le moment de la grossesse. Pour la première grossesse vécue au sein d'un couple, il y a plus de risque de violence physique avec mortalité de l'enfant, accouchements à domicile sous les coups, enfant prématuré, complications obstétricales diverses,... Et malgré que la grossesse soit fortement médicalisée dans nos pays notamment avec des rendez-vous chez des gynécologues, sages-femmes, et autres professionnels de santé, très peu questionnent cela lorsque la patiente est seule.
La question importante des violences sexuelles au sein du couple
Véritable zone d'ombre des violences conjugales, les violences sexuelles sont pourtant réelles. Les violences sexuelles ne sont pas forcément liées à des viols, mais englobent des décisions prises de manière unilatérale par le conjoint au niveau de la sexualité, de la contraception, des grossesses de sa partenaire. Les violences sexuelles forment donc un type de violence particulier, car le corps de la femme et sa sexualité sont appropriés par une domination du partenaire.
Au niveau légal, on distingue le délit, qui présente une agression sexuelle sans pénétration; du viol, qui implique une pénétration (pas forcément de l'appareil génital masculin). Cette distinction prend essence sur le fait que le viol est représenté par une pénétration sur une tierce personne avec notion de violence,menace,surprise et/ou contrainte. Comme on peut le concevoir aisément, comparativement à d'autres types de violence physique, la violence sexuelle est plus compliquée à voir et à entendre. En effet, souvent, les femmes se sentent coupables de l'agression, sont plus souvent isolées et ne parviennent pas à prendre conscience que les violences sexuelles au sein du couple existent. Parler de viol conjugal est donc encore plus compliqué, car bon nombre de femmes expriment qu'il n'est pas aisé de faire la distinction entre une sexualité non consentie à 100% mais acceptée par notion de fréquence de rapports sexuels ou autres (souvent en lien avec la notion de devoir conjugal) et le viol. Un mythe bien présent chez bon nombre de femmes, est l'idée que le violeur est une personne affreuse que l'on croise dans des lieux sombres, l'image du conjoint étant bien loin de tout cela. Pourtant, si l'on reprend une statistique qui éclaire ce mythe, 3 auteurs d'agressions sexuelles sur 4 connaissent leurs victimes.
La capsule vidéo « Le récit d'une sur deux », reprend le texte de Giulia Foïs, invitant à une réflexion sur le viol en informant et avertissant du mythe du violeur et de la victime.
En évoquant le viol conjugal, on ne peut pas passer à côté de l'enquête menée par SOS Viol et Amnesty International en 2014 montrant que près de 25% des femmes belges étaient victimes ou avaient été victimes de relations sexuelles forcées de la part d'un conjoint. Une autre étude de l'INSEE, réalisée en France entre 2012 et 2018 indique d'ailleurs que près de 50% des violences sexuelles subies par les femmes ont lieu dans le lit conjugal. Evidemment, ces chiffres sont très différents des chiffres indiqués par les services de police, car peu de femmes portent plainte pour des violences sexuelles, et encore moins au sein du couple. Cela conduit à la notion de chiffre noir entourant les violences sexuelles et évaluant le nombre réel d'agressions en comparaison au nombre de dépôts de plaintes.
Afin d'illustrer les violences conjugales au sein du couple, je vous partage le témoignage d'une patiente que nous appellerons Ninon : « Les violences conjugales, je voyais ce que cela pouvait être de part les séries et films. Je ne pensais pas que cela pouvait m'arriver, je suppose comme toutes les autres victimes. Les premières formes de violence qui sont apparues dans mon couple, c'était les violences psychologiques et verbales. Je me sentais souvent bien en dessous de mon compagnon, il me faisait comprendre que j'étais la méchante, et que souvent, je posais problème. Dans des moments de rage, il exprimait que lui n'avait aucun problème, mais que moi oui, je le poussais à être méchant, tout cela était de ma faute. Dès que je tentais de me rebeller, il ressentait une légère distance entre nous, et à ce moment-là, il exprimait qu'il avait besoin de moi, et que si je partais il se suiciderait. Dans ces moments, il lui arrivait de prendre des couteaux et de se faire des marques sur la peau afin d'appuyer ses propos. Je restais donc prostrée car je l'aimais, et je n'avais pas envie d'être responsable de cela, alors que c'était finalement certainement moi le problème, si je l'amenais à cela. Notre relation a continué d'évoluer, avec des phases plus aisées, et moins violente psychologiquement et verbalement, jusqu'à un événement particulier : les premières violences sexuelles. Aujourd'hui, je pourrais dire qu'elles ont débuté de manière insidieuse : choix des positions et pratiques sexuelles, domination relativement présente, et malgré un inconfort personnel, je n'osais pas en parler car je me sentais en marge, et ovni d'autant plus que c'était ma première vraie relation amoureuse, et mes premières vraies relations sexuelles. Par la suite, les rapports sont devenus de moins en moins consentis, malgré des douleurs physiques et des inconforts psychiques que j'exposais, je me sentais obligée d'avoir des rapports. Je mettais des stratagèmes en œuvre : prétendre que mes règles duraient encore, faire semblant de dormir,... mais je ressentais qu'un jour, ce ne serait pas suffisant. Cela ne me préservait pas de violences verbales qui me faisaient me sentir diminuée jour après jour. Le paroxysme des violences sexuelles s'est montré par un viol conjugal, que j'ai mis des années à nommer comme cela. Un soir, alors que j'avais bu quelques verres à une soirée, je me suis réveillée en sentant que quelque chose se passait : en effet, mon ancien compagnon faisait des vas et vient en moi. Prostrée, j'ai pu réagir, mais à minima. Je n'ai pas fait d'esclandre, j'ai simplement bougé et l'acte s'est fini, notamment grâce à l'arrivée d'une tierce personne dans notre logement. Cet événement n'a jamais été rediscuté dans les mois suivants. Toutefois, après cet événement, la violence physique est apparue. Pas comme dans les films, pas spécialement de gros coups, mais de petits bleus quand il me maintenait contre le mur et qu'il mimait de m'étouffer. Des bleus bien placés, qui ne se voient pas vraiment, mais qui me font rester dans la relation, par peur pour moi, et toujours pour sa propre vie si je décide de partir. J'ai pu quitter cette relation après quelques années, mais j'ai mis des mois à poser des mots sur ce que j'avais vécu. J'ai encore du mal aujourd'hui, à qualifier ce que j'ai vécu de violences conjugales car le tabou reste bien présent, mais j'en parle, pour que cela ne me soit pas arrivé pour rien, et que je puisse accepter cet événement, tant bien que mal. Le climat de peur reste encore présent en moi, peur qu'il revienne et que je sois à nouveau confrontée à cela dans un autre couple. J'ai l'intime conviction de ma reconstruction prendra une grande partie de ma vie. »
Le cas particulier des violences conjugales envers les hommes
Comme exposé précédemment, il n'est pas simple de parler de violences conjugales, et parler de ces violences envers les hommes est encore plus tabou. Pourtant, dans une enquête française réalisée en 2019, on pouvait apprendre que 27% des victimes de violence conjugale sont des hommes et que tous les 14 jours, un homme décède sous les coups de sa conjointe. Ce qui conduit à devoir considérer ce phénomène, en passant sur les émotions d'incrédulité, de moquerie, d'indifférence que cela peut revêtir. Une notion bien présente quand les hommes souhaitent évoquer les violences subies étant « porte tes couilles, et tais-toi, tu es un homme ! » et cette notion reste présente même lorsque les hommes décident de faire appel aux services de police, et portent plainte, ce qui n'est le cas que de 3% des hommes victimes... Allant à l'encontre d'idées reçues, les hommes également subissent des violences physiques, il n'y a pas que les violences psychologiques et verbales qui forment le terreau de ce que vivent ces hommes. La capsule vidéo « Violence is Violence » démontre la permissivité de la violence envers les hommes, en comparaison à celle subie par les femmes :
Les couples homosexuels masculins ne sont pas plus représentés dans les statistiques de violences conjugales que les couples hétérosexuels, au même titre que la violence conjugale est également présente dans les couples homosexuels féminins. Les femmes qui seraient violentes ont des profils très divers, qui comme dans le cas des hommes agresseurs, ne sont pas toujours stéréotypés. Certes, les femmes souffrant de troubles mentaux sont plus à risque de développer des comportements violents envers leurs conjoints, mais des femmes sans troubles mentaux peuvent également être des bourreaux. Les seuls profils qui sont les plus souvent mis en exergue dans les témoignages recueillis sont ceux de la femme alcoolique et/ou droguée, mais également la femme dépressive, qui peut alors cumuler les abus de substances et s'inscrire dans le cadre de violences envers son entourage, et son conjoint.
Voici un témoignage de violence conjugale relatée par l'un de mes patients, que nous allons nommer Thierry : « J'ai eu une relation de près d'une année avec une femme violente. Au début, tout allait bien malgré quelques excès émotionnels, de colère, de son côté. Avec le temps, elle me rabaissait de plus en plus souvent, me traitait comme inférieur à elle car nous n'avions pas le même niveau d'étude. Je devais payer beaucoup plus de choses qu'elle, les factures, les courses, les sorties car 'j'étais un homme' et 'c'était mon rôle '. Une certaine asymétrie était déjà présent, mais ayant internalisé la galanterie, je n'osais rien dire et je suivais ce qu'elle me disait, en payant même si mon salaire pouvait être plus faible que le sien. Un soir, dans un excès de colère en rentrant du travail, elle m'a jeté un livre à la tête. Je suis resté assez bête, j'ai haussé la voix mais je n'ai à aucun moment eu l'envie ou l'impulsion de répondre par de la violence, c'était complètement absent de mon esprit. Quand j'ai remis en question cet événement, elle m'a dit qu'elle se mettait en colère à cause de moi, et que je n'étais qu'une sombre merde, qu'elle ne savait pas pourquoi elle restait dans ma vie. Je me sentais réellement comme une merde et je me disais que finalement, ce n'était qu'un moment de crise, je me sentais incapable d'en parler avec quiconque et encore moins de partir de ce couple car j'avais souvent entendu que personne d'autre ne voudrait de moi. Lors d'une dispute à propos d'une sortie, elle m'a poussé dans les escaliers. A ce moment-là, je me suis rendu compte que ce n'était pas normal et j'ai voulu partir. J'ai alors fait mes valises, et quelques jours de silence plus tard, elle m'a dit que nous devions parler, elle était enceinte. Je suis alors revenu car je ne voulais pas laisser la mère de mon enfant seule, et j'ai tenté de passer l'éponge sur ce qu'elle m'avait fait vivre. Les épisodes de violence physique se sont succédés, elle m'envoyait des objets, me frappait par derrière, avec une force inouïe. Avec sa rage, ses forces semblaient décuplées, ses veines ressortaient et je n'avais plus devant moi une femme douce, mais une femme qui me faisait peur. J'encaissais pour notre futur enfant, jusqu'au jour, où j'ai su qu'elle n'avait jamais été enceinte. Elle m'avait menti pour que je revienne, je suis alors parti de notre maison, avec de multiples dettes accumulées, et j'ai fuis à l'étranger avec mon travail afin que toute relation soit rompue. Beaucoup de membres de ma famille et d'amis m'ont alors tourné le dos car ils ne comprenaient pas mon départ, et encore moins dans la précipitation, car elle était une femme parfaite à leurs yeux. Je n'ai jamais osé parler de ce que j'avais vécu avec mes amis ni ma famille car je me sens faible, et inférieur d'avoir subit tout cela, alors que je suis un homme. »
Sur ce témoignage, cet article prend fin. J'espère qu'il vous aura permis de concevoir la réalité d'un couple sur huit, et d'ouvrir vos yeux mais également vos mentalités à ce que peuvent représenter les violences conjugales, pour les femmes et les hommes.
A bientôt au cabinet, Coleen Godart
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